Résumé : Après les premiers recensements urbains réalisés à Dakar, et à Abidjan, la nécessité d'obtenir les données démographiques fondamentales qui, jusqu'ici, faisaient totalement défaut sur les milieux ruraux, a conduit à réaliser des études par sondage en Guinée d'une part (c'est la première enquête démographique par sondage de 1955), en Côte d'Ivoire d'autre part. Strictement démographique pour la Guinée, l'objectif de ces études était multiple en Côte d'Ivoire : tant social qu'économique.
L'enquête démographique était aussi plus réduite quant à l'étendue du territoire soumis à l'investigation et à la population. totale recensée.
Elle a porté sur la subdivision de Bongouanou, située dans la zone forestière aux confins de la savane en moyenne Côte d'Ivoire, qui fait partie du cercle de Dimbokro et couvre une superficie de 3.100 km². D'après le recensement administratif, elle comptait 37.000 habitants répartis dans 47 villages.
En fait, ces chiffres étaient très sous-estimés et ils ne tenaient pas compte de l'intense immigration qui attirait vers la région, des travailleurs du Baoulé et des manœuvres et commerçants des pays du Nord, Bambaras, Malinkés, Mossis. Les gros villages de la subdivision possèdaient leur quartier d'étrangers, appelé "dioulakro", population d'importance mal connue qui peu a peu s'implantait dans le pays. De plus, l'administration possèdait très peu de renseignements sur la population vivant dans les campements de culture, population légale (ou payant l'impôt) et population de fait (immigrants).
Cette subdivision a été choisie pour être l'objet d'une enquête socio-économique spécialement orientée vers l'étude du niveau de vie et de la nutrition des planteurs Agni qui peuplent cette région. Elle avait aussi pour objectif de montrer l'intérêt de ces enquêtes par sondage à objectifs multiples et de mettre au point des méthodes appropriées à cette forme d'investigation.
Elle a été menée par la "Mission d'enquête sur la nutrition et le niveau de vie, dans la subdivision de Bongouanou" et a ainsi porté sur les budgets de famille, l'alimentation, les activités agricoles, la démographie et l'état sanitaire. Cela tant pour les villages Agni que pour les quartiers étrangers et les campements de culture.
Concernant la démographie, trois relevés ont été réalisés : un inventaire des villages de l'échantillon, un interrogatoire des femmes et un relevé des mouvements naturels de la population.
Les villages Agnis ont été visités rectangle par rectangle; dans certains centres commerciaux, et pour les étrangers seulement, on s'est contenté d'un sondage aléatoire d'un quart des habitations.
Le premier inventaire a été assez incomplet, puisqu'on a trouvé (pour la population Agni seulement) les 9/l0ème de la population officiellement recensée. Cependant, un effort continu a permis de l'améliorer, en particulier le rapprochement systématique entre les fichiers d'enfants et de femmes et le cahier d'inventaire.
Un fichier sur chaque femme adulte a été constitué par l'assistante sociale de la mission, comportant les renseignements suivants : nombre total de mariage successifs, âge au mariage, nombre total•de naissances par sexe, date des naissances et décès des enfants nés en 1953-54-55.
Enfin, profitant du séjour d'un an des enquêteurs dans les villages, on a tenté de faire un relevé des naissances et des décès.
Au point de vue méthodologique, cette étude présentait l'intérêt de permettre un recoupement des renseignements obtenus dans l'interrogatoire des femmes. L'enquête, en faisant porter l'interrogatoire sur les trois dernières années et en effectuant des relevés directs, a permis de se faire une idée• sur la validité des renseignements obtenus par la première méthode.
L'essentiel du dépouillement des relevés a été fait à Bongouanou au cours de l'enquête même, puis à Abidjan par le Service de la Statistique de la Côte d'Ivoire.
Les résultats ont donné une population Agni de 51.000 habitants, au lieu de 37.000 d'après les recensements administratifs, et une population étrangère oscillant suivant les saisons entre 14.000 et 18.000 personnes, au lieu de 2.500 recensés, soit au total pour la subdivision une population de l'ordre de 65.000 habitants.

Echantillonnage : Le but essentiel de l'enquête étant de donner des résultats valables à l'échelle de la subdivision, cela supposait l'application d'une méthode statistique rigoureuse dans le choix des unités de l'échantillon. L'étude de la consommation alimentaire ayant été de loin leur tâche la plus absorbante et la plus délicate, ce sont ces relevés qui ont imposé au plan de sondage ses traits essentiels, notamment le choix de l'unité de sondage : la plus stable et la plus cohérente a semblé être le "rectangle" (défini comme une grappe de groupes élémentaires de consommation) pour les villages Agni ou la "concession" pour les quartiers étrangers ". En effet, avant de procéder au tirage de l'échantillon, il a fallu distinguer au départ les deux catégories distinctes de population, les Agnis et les étrangers (appelés communément "dioulas" en raison de la langue parlée dans le monde commerçant).
1) Sondage Agni
Pour les Agnis de la subdivision, on a procédé à un sondage à deux degrés. Au premier degré, sur base des chiffres officiels de recensement, on a d'abord tiré aléatoirement avec probabilités égales neuf villages. La méthode de Yates a été utilisée pour "compenser" l'échantillon dont les caractéristiques (taille moyenne et distribution en petits, moyens et gros villages) sont de ce fait proches de celles de l'ensemble des villages de la subdivision. Les neuf villages retenus comptaient 10.300 habitants, soit environ 20 % de la population totale de la subdivision.
Chaque village-échantillon a ensuite été recensé. Au second degré, dans chaque village tiré, un quart des rectangles a été ensuite tirée au hasard et a constitué l'échantillon des rectangles étudiés, pendant les quatre premiers mois de l'enquête. De quatre mois en quatre mois, le 1/3 de cet échantillon a été renouvelé par un tirage au hasard, de sorte que pour 2/3 des rectangles, les relevés ont porté sur deux périodes de l'année, et pour 1/3 sur trois périodes. Le renouvellement de l'échantillon avait pour but d'améliorer les estimations globales, tout en permettant d'évaluer les variations saisonnières. Au total, pour l'ensemble de l'année, compte tenu du renouvellement de l'échantillon, 162 rectangles représentant 4.100 personnes ont été étudiés.
Les campements associés aux rectangles de l'échantillon ont été enquêtés à raison d'un peu moins d'un rectangle sur deux.
2) Sondage sur la population immigrée
L'enquête proprement dite a été précédée par le recensement d'une proportion assez élevée de l'ensemble de la population étrangère de la subdivision. Cet inventaire avait un double but : d'une part connaître l'importance et la structure de cette population que les recensements administratifs négligent presque entièrement, d'autre part fournir une base de sondage correcte pour la sélection aléatoire des familles étudiées.
Parmi ces étrangers, on peut distinguer :
a) ceux qui habitent les quartiers étrangers des villages Agni,
b) ceux qui cohabitent avec les Agni,
c) ceux qui vivent dans les campements de culture comme manoeuvres employés par les planteurs Agni,
d) ceux qui habitent des campements en tant que planteurs indépendants.
Pour l'étude de la première catégorie qui est numériquement la plus forte, les villages de la subdivision ont été répartis en deux strates, suivant l'importance relative de la population étrangère et de la population Agni. La première strate comprend les cinq villages ayant les quartiers étrangers les plus peuplés et qui possèdent d'ailleurs les plus gros marchés de la région. Ils ont été recensés exhaustivement sauf Bongouanou qui, à cause de sa taille, ne l'a été que par un sondage à 50 %. Pour la deuxième strate, qui comprend les 43 autres villages de la subdivision, le plan de sondage a suivi le schéma adopté pour l'étude de la population Agni.
Les effectifs de la deuxième et de la troisième catégories ont été l'objet d'estimations assez précises grâce au sondage fait d'autre part sur la population Agni tant au village qu'au campement.
Par contre la quatrième catégorie n'a pu être estimée que très grossièrement en raison de la nature de l'habitat dispersé qui la caractérise dans la forêt qui recouvre toute la subdivision. Étant donné les difficultés qu'il y a à obtenir pour cette dernière catégorie d'immigrants une base de sondage satisfaisante, on a dû renoncer pour elle à l'étude des budgets et de l'alimentation.
Une fois les recensements réalisés, les relevés dans chaque concession ont été effectués avec un échantillon renouvelé dans les mêmes conditions que l'échantillon Agni. Au total, pour l'ensemble de l'année, il a compris 62 concessions, représentant plus de 700 personnes.